Contrôle fiscal – Le fisc peut désormais utiliser des informations et des documents volés…
Par Me Sassi, avocat fiscaliste à Paris (www.sassi-avocats.com)
En matière fiscale, la délation est désormais autorisée, voir encouragée puisque le délateur est désormais un « lanceur d’alerte ».
Imaginons qu'un salarié de votre entreprise vole des documents internes et les transmette au fisc pour vous «se venger».
Votre entreprise pourrait-elle être redressée sur la base de ces documents compromettants ?
1ere stratégie du fisc – l’exercice du droit de communication de l’administration fiscale…
Le droit de communication constitue une procédure d'investigation destinée à permettre à au fisc de demander et de recueillir des informations sur le contribuable, cela en dehors de toute procédure contradictoire.
De très nombreux droits de communication sont prévus tant auprès des personnes privées que publiques (LPF art. L 81 à L 102 A).
A titre d’exemple :
- L’article L.82B du LPF dispose que : « Toute personne physique ou morale qui verse des salaires, pensions ou rentes viagères doit communiquer à l'administration, sur sa demande, les documents sur lesquels sont enregistrés les paiements ».
- L’article L.96 du LPF dispose que : « L'identité des personnes auxquelles sont délivrées des formules de chèques non barrées et qui ne sont pas rendues, par une mention expresse du banquier, intransmissibles par voie d'endossement, sauf au profit d'un établissement de crédit, d'une caisse d'épargne, ou d'un établissement assimilé, doit être communiquée à tout moment à l'administration des impôts, sur sa demande ».
Dès lors qu’elle veut opérer une vérification, l’administration fiscale peut donc solliciter de toute personne détenant des informations qu’elle lui transmette afin qu’elle vérifie la validité d’une opération et/ou le montant et les modalités de versements de certaines sommes.
A la lumière des premiers éléments qui lui seront transmis sur la base de ce droit de communication, le fisc pourra alors les comparer aux informations dont elle est déjà en possession….. pour affiner la suite des opérations
L'administration est donc susceptible de se forger une première conviction à partir d'informations dont vous n'aurez pas eu connaissance et qui pourraient s'avérer inexactes.
La comparaison avec des informations d’origine illicite
Adopté dans le cadre de l'exploitation par l'administration fiscale des documents bancaires dérobés par un informaticien à la banque « HSBC », à Genève, l'article L 10-0AA du LPF a été créé par la loi n° 2013-1117 du 06.12.2013 relative à « la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ».
Or, cette article dispose que :
« Dans le cadre des procédures prévues au présent titre, à l'exception de celles mentionnées aux articles L. 16 B et L. 38, ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine les documents, pièces ou informations que l'administration utilise et qui sont régulièrement portés à sa connaissance soit dans les conditions prévues au chapitre II du présent titre ou aux articles L. 114 et L. 114 A, soit en application des droits de communication qui lui sont dévolus par d'autres textes, soit en application des dispositions relatives à l'assistance administrative par les autorités compétentes des États étrangers ».
Il autorise donc expressément l'administration fiscale à utiliser des preuves d'origine illicite (documents, pièces ou informations) à la seule condition qu'elles aient été régulièrement portées à sa connaissance en vertu des textes organisant le droit de communication sur le plan interne ou en application des dispositions relatives à l'assistance administrative par les autorités compétentes des États étrangers.
L’administration fiscale peut donc désormais utiliser un document volé ou de manière générale, dont l’origine est plus que douteuse, pour effectuer un contrôle et le cas échéant, notifier un redressement à un contribuable.
Ceci pose tout de même quelques difficultés au regard du principe de l’égalité des armes qui constitue une composante essentielle du droit au procès équitable consacré par notre droit et notamment énoncé dans l’article 6 de la Convention européenne des droit de l’Homme.
Or, la Cour européenne des droits de l’Homme a eu l’occasion d’énoncer que le principe d’égalité des armes « implique alors l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » (CEDH, 27 oct. 1993, Dombo Beheer c/ Pays-Bas).
En effet, face à l’administration fiscale qui pourra se prévaloir de documents d’origine illicite, pour sa part le contribuable risque fort d’être pénalement poursuivi s’il en fait de même.
De fait, cet article L 10-0 AA du Livre des procédures fiscales conforte considérablement le poids déjà fort importun de l’administration dans un contentieux fiscal.
Des droits pour le contribuable finalement très limités !
La seule réserve émise par le Conseil constitutionnel à l'occasion de la validation de ce nouvel article L.10-0 AA du LPF (Décision 04.12.2013 no 2013-679 DC) est qu'il ne saurait permettre aux services fiscaux de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge (Décision cons. 33-34).
L'hypothèse visée est celle dans laquelle l'administration fiscale a, en application de l'article L. 101 du LPF, pu accéder à des pièces saisies lors d'une perquisition et détenues par l'autorité judiciaire et où, ultérieurement, le juge pénal annule la perquisition et déclare nulles lesdites pièces.
En conséquence de la réserve émise par le Conseil constitutionnel, l'administration fiscale ne pourra pas continuer à se servir de ces pièces dans le calcul, le recouvrement et le contentieux de l'impôt.
Toutefois, il est à noter que la réserve est émise non pas par le législateur lui-même mais par le Conseil constitutionnel ce qui est regrettable. En outre, cette réserve fait référence à une situation qui est l’infime minorité des contrôles fiscaux réalisés de sorte que son champ d’application est considérablement réduit.
Une exclusion… implicite toutefois !
Tous ces textes fiscaux, difficilement compréhensibles pour le contribuable, laissent toutefois entrevoir une exclusion implicite de nature à permettre au contribuable de contester, dans certains cas, les redressements fiscaux qui lui seraient infligés sur la base de documents volés.
En effet, le nouvel article L.10-0AA du LPF exclut implicitement, l'utilisation, par l'administration, des éléments illicites qui lui seraient remis directement hors tout droit de communication.
L'hypothèse est celle où les documents parviendraient directement à l'administration, soit par remise par le voleur lui-même, soit par un envoi, anonyme ou non.
Il est heureux que l’article L.10-0 AA ait prévu que cette communication de pièces potentiellement illicite ne puisse se faire que dans le cadre de l’exercice de son droit de communication.
En effet, il serait incompatible avec notre système judiciaire que toute personne puisse anonymement et de façon spontanée communiquer des pièces volées ou issues d’une autre infraction à l’administration fiscale, et que celle-ci puisse s’en servir pour notifier un redressement à un contribuable qu’elle ne visait pas au préalable.
Dans les deux cas, la détention illicite serait patente puisque les documents ne seraient pas remis à l'administration par leur propriétaire.
Il est en revanche moins heureux que le législateur n’ait pas clairement énoncé cette exclusion que l’on ne peut déduire que d’une interprétation et du renvoi opéré vers les dispositions sur le droit de communication du Trésor.
Quid d’un document volé par un salarié ?
En droit du travail, on sait, notamment depuis un arrêt de la Chambre sociale du 2 décembre 1998, qu’un salarié peut produire en justice des documents appartenant à son employeur mais dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions pour assurer sa défense dans un litige prud’homale.
Qu’en est-il au regard de l’administration fiscale ?
Un document détourné par un salarié (ancien ou actuel) porte nécessairement atteinte au droit de propriété de l'employeur et au secret professionnel.
C’est pourquoi, en dehors de toute sollicitation de la part de l’administration fiscale, un salarié ne peut pas communiquer directement des documents appartenant à son employeur sans commettre un vol pénalement répréhensible.
Par ailleurs, cela constituerait de la pure vengeance à l’égard de son employeur là où le détournement de documents a une véritable finalité en droit du travail, permettre au salarié d’assurer sa défense.
Malgré cette nouvelle loi, et selon une jurisprudence constante, la preuve illicitement obtenue par un salarié et transmise aux services des impôts constitue une dénonciation irrégulière qui ne peut toujours pas être utilisée pour motiver un redressement ou une ordonnance de visite.
Depuis la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale, le fisc peut désormais exploiter des informations d'origine illicite, mais à la seule condition qu'elles aient été régulièrement portées à sa connaissance.
Le contribuable ne doit toutefois pas crier victoire trop vite
En effet, et même si le fisc ne peut pas utiliser des documents volés qui lui auraient été adressés directement par la personne qui les auraient dérobés, il pourra néanmoins les utiliser si ces documents étaient d’abord envoyés au Procureur de la République qui ensuite les transmettrait à l’administration fiscale.
Conclusion
Ce nouvel article L.10-0 AA du Livre des procédures fiscales étend de manière significative les pouvoirs d’enquête de l’administration qui peut désormais se faire communiquer des documents et informations dont l’origine pourrait s’avérer illicite.
Malgré les réserves émises et les exclusions mentionnées, force est de constater qu’au fil des lois, le fisc prend de plus en plus de poids et d’indépendance quant aux pouvoirs d’enquête qui lui sont confiés par le législateur.
Notre cabinet d'avocats en droit des affaires et en droit fiscal accompagne les dirigeants d'entreprises dans toutes les opérations de contrôle fiscal tout comme dans la gestion juridique et fiscale inhérentes au fonctionnement des sociétés. Notre clientèle est constituée de PME françaises et étrangères, ainsi que de leurs dirigeants et associés.
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